1er avril 2020

De Isabelle Hervé-Bauve
Metteure-en-scène de la Troupe du Lundi
Pièce travaillée : Building, de Léonore Confino

Comme on se le disait avec Véro [Véronique Mounib], les séances théâtrales en visioconférence sont des vraies bouffées d’oxygène, des fenêtres sur des vies parallèles, dont chacun.e sort en ayant vraiment débranché de la réalité angoissante que nous sommes contraints de subir quotidiennement !
Que ça n’est pas seulement du plaisir mais un véritable acte de résistance, presque un acte politique !
En fait, le théâtre continue de nous surprendre et de venir nous cueillir là où on ne l’attendait pas : dans nos appartements interposés, au cœur même de nos intimités, pour paradoxalement mieux permettre de nous en évader…
Se concentrer sur un écran, sur une connexion qui peut à tout moment être défaillante, c’est encore plus de concentration et d’écoute à développer entre partenaires et metteur en scène. C’est encore plus de connexion humaine malgré la virtualité, au delà de la virtualité…
Si ce virus n’était pas tant une merde, il serait presque une belle opportunité, l’occasion de sortir des sentiers battus, d’imaginer un théâtre dans l’obligation de muter… Voilà ! On passe nos journées à se laver les mains et le soir, on dépoussière nos pratiques artistiques !! Et tout ça au printemps !! Pas de hasard, on le sait bien!…😉

J’ai une pote médecin qui m’a dit aujourd’hui : le covid est en train de mettre en évidence tous les dysfonctionnements de notre société et en ça, il a un petit peu ma sympathie !… Et oui , cette maladie est terrible, monstrueuse, historique, mais pas que…
Et surtout pour qu’à l’issue elle ne soit pas qu’un drame planétaire , nous nous devons (au delà de rester chez nous) de la transcender, pour tricoter notre présent en rêvant aux créations que nous ferons dans le futur !

6 avril 2020 – avant la répétition…

De Isabelle Hervé-Bauve
Metteure-en-scène de la Troupe du Lundi
Pièce travaillée : Building, de Leonore Confino

18h – Avant la répétition de ce soir…

J’ai changé pour la troisième fois mon installation de chambre/ bureau et je pense avoir enfin optimisé au max !…

Ma « mise en condition » pour la répétition de Building [de Leonore Confino] de ce soir donc !! 😉

Extrait des mes notes :

2/ Hall d’accueil – Rez de chaussée
2 tabourets côte à côte.
Des badges + 1 plante.
Penser à « En attendant Godot » Théâtre de l’absurde
Absurdité de la situation.
Ennui extrême des 2 hôtesses.
Silences.
Parlent pour ne rien dire.
Se font chier mortellement.
Se sentent inutiles et donneraient n’importe quoi pour se sentir utiles justement.
Journée qui se répète à l’infini. Rien ne change jamais. Rien ne bouge. Monotonie.
Imaginer que tous les jours sont les mêmes.
Comportement non verbal à imaginer.

C’est drôle comme ces notes font complètement écho à notre confinement forcé, alors qu’elles datent d’avant, lorsqu’on avait commencé à aborder cette scène !…

6 avril 2020 – la répétition

De Isabelle Hervé-Bauve
Metteure-en-scène de la Troupe du Lundi
Pièce travaillée : Building, de Leonore Confino

Travail de la scène du 3eme étage : service comptabilité avec les comédiennes Laurence Dias et Muriel Cochennec.

 

Travail de la scène se déroulant au 9 ème étage de building : « le Relaxiorium » avec les comédiens Vincent Reuss, Muriel Cochennec, Christelle Châtelain et Marina Boisbunon.

Et enfin la troisième scène d’hier, à l’étage 10 : les 4 telemarketteurs ! Avec Léa Stern, Nicolas Fiorito, Diane Girard et Mathias Stern.


De Maya Aguerri
Comédienne de la Troupe du Lundi
Pièce travaillée : Building, de Leonore Confino

(qui ne travaillait pas de scène ce jour-là mais assistait au travail des autres… A eu envie d’envoyer un clin d’oeil à Isabelle Hervé Bauve, la metteure-en-scène)


De haut en bas et de gauche à droite : Maya Auerri, Laurence Dias, Nicolas Fiorito, Christelle Chatelain et Isabelle Hervé-Bauve.

7 avril 2020

De Véronique Mounib
Metteure-en-scène de la Troupe Ouïe-Dire And Co
Pièce travaillée :
Le misanthrope, de Molière

A mon poste… pour une nouvelle répétition !

Enregistrement audio réalisé au début de notre 4ème séance en visio (mardi 7/04). On y entend les comédiens : Isabelle Hervé Bauve, Michèle Lacaille et Laurent Devel.

« Voir les choses autrement tout en continuant à vivre et à créer des projets pour l’après… »

8 avril 2020

De Alain Toussaint
Comédien de la Troupe du Mercredi
Pièce travaillée : Les femmes savantes, de Molière
Personnage : Chrysale

HAÏKU du théâtre confiné

Atelier fermé
Molière tout confiné
Moment insensé
 
Sans partenaire
Toutes mes répliques rappliquent
Que faire de mes vers
 
Salle vide, plein écran
Par vidéo j’dis mes mots
La galerie me réplique
 
Théâtre masqué
En ligne pour vous j’apprends
Vraiment étonnant

10 avril 2020

De Joëlle Mezza
Comédienne de la Troupe Ouïe-Dire And Co
Pièce travaillée : Le misanthrope, de Molière
Personnages : Philinte et Arsinoé

Avant la séance, je revois mon texte comme d’habitude. Car même si on peut l’avoir sous les yeux, c’est l’occasion de tester sa mémorisation des vers avec les autres.

Je me connecte souvent en avance, je teste le code d’accès et Monsieur BlueJeans* me dit que je suis la seule à la réunion. En avance, comme d’habitude finalement ! J’entre comme par effraction dans un intérieur qui m’est étranger : un mur blanc, de nombreux livres sur des étagères, des poutres apparentes…

Puis chacun arrive tour à tour. On se dit bonjour à distance, on prend des nouvelles des uns et des autres en attendant que tout le monde soit là. Nous voilà chacun dans sa loge comme au théâtre, ou dans certains décors qui donnent à voir les vies parallèles de tout un immeuble. Ou comme des petites abeilles dans leurs alvéoles. Parfois certaines s’échappent, disparaissent puis réapparaissent.

La communication n’est pas complètement fluide… techniquement d’abord… il faut s’écouter, comprendre qui parle à qui, un bon exercice de théâtre, me direz-vous ! Mais j’ai souvent l’impression de ne pas être entendue ou pas écoutée. Pour quelqu’un qui a déjà du mal à s’insérer dans les discussions de groupe, c’est encore plus frustrant.

Et puis on travaille :

“ A quoiqu—-nant on sort assujett—- ne m’attendais —— partie—– dame !”

Si si c’est un alexandrin !

Décalages, arrêts sur image, j’entends la voix de véronique qui court et son image bloquée sur un grand moulinet du bras… certains parlent en langue des signes… on se perd, on se retrouve….

On se prend à imaginer des déplacements, des gestes qu’on ne pourra pas essayer tout de suite. Mais ça travaille pour plus tard peut-être.

Puis vient le moment de pause. Étonnamment, il y a comme une gène à avoir une discussion libre, une retenue, qui contraste avec la prolixité des échanges whatssapiens. Une certaine inquiétude point chez chacun-e, malgré la multiplicité des blagues échangées sur Whatsapp.

La séance se termine. En deux minutes, on se retrouve basculé dans notre univers quotidien. Pas de sas de décompression, il va falloir parler en prose !

* BlueJeans : application de visioconférence.

11 avril 2020

De Isabelle Tresson
Comédien de la Troupe du Mercredi
Pièce travaillée : Les femmes savantes, de Molière
Personnage : Ariste

 

Les jours passent. Parfois, je ne sais plus quel jour nous sommes justement. Cela arrive en temps normal, après un week-end de trois jours par exemple, mais en ce moment, c’est presque un jour sur deux. Quel jour sommes-nous ?

Le mercredi, je sais. Dès la veille je sais et je me réjouis. Car il y le rendez-vous du mercredi, la session hebdomadaire de l’atelier théâtre qui n’a pas pris de pause, malgré le confinement. Comme un besoin de conserver un rendez-vous culture, avec ce groupe formé il y a sept mois seulement, mais qui est déjà soudé, par la puissance du jeu théâtral, par les relations qui naissent entre les comédiens, dès les premières improvisations. Avec le théâtre, on a l’impression de bien se connaître parce qu’on vit des choses ensemble, on ressent des émotions ensemble tous les mercredis soir et pourtant on ne se connaît pas personnellement ! C’est durant le confinement, lors du début des séances de travail en vidéo qu’on en a finalement découvert un peu plus de la vie des uns et des autres. Je découvre que Laurent est directeur artistique, qu’il travaille dans la communication. Car au début des séances en vidéo, on parle forcément de nos vies confinées, puis on continue le travail.

On travaille cette pièce qu’on devait jouer en juin 2020 et qu’on jouera en fin d’année seulement. Entre les séances du mercredi, on continue le travail des scènes en petits groupes. Je répète souvent par téléphone avec Alain. Évidemment, on parle aussi de la situation particulière et on se découvre un peu plus. J’apprends à connaître Alain qui a travaillé dans la finance solidaire et que je n’aurai peut-être jamais rencontré sans l’atelier théâtre.

Ces répétitions à deux et en groupe me donnent l’espoir que l’art peut survivre à cette épidémie et à ces interdictions d’aller au théâtre ou au cinéma. Et j’ose espérer qu’on verra un grand élan de solidarité naître après le confinement, qu’on soutiendra non seulement les soignants, les caissières, les éboueurs, etc. mais aussi les lieux de culture que sont les théâtres, les cinémas, etc.

13 avril 2020

De Isabelle Hervé-Bauve
Metteure-en-scène de la Troupe du Lundi
Pièce travaillée : Building, de Léonore Confino

Préparation de la séance de ce soir…

La séance !

À gauche : Christelle Châtelain, en haut à droite : Marina Boisbunon, en bas à droite : Maya Aguerri.

Cette photo illustre bien la première scène travaillée entre les deux hôtesses du hall d’accueil de « Building »… Les deux comédiennes : Christelle Châtelain et Maya Aguerri s’étaient mises d’accord l’après-midi même pour venir répéter en visio avec une proposition de costumes !! Leurs sourires complices et celui de Marina qui a pris des notes pendant toute la répétition, font chaud au cœur !!

16 avril 2020

De Michèle Lacaille
Comédienne de la Troupe Ouïe-Dire and Co
Pièce travaillée : Le misanthrope, de Molière
Personnage : Célimène

Hello
On essaie de faire un Hello léger, joyeux et insouciant et pourtant… Pourtant tous nos sens sont en berne… on se réveille, on voit le ciel, le soleil, on s’étire, on a plein de choses à faire… et puis… oups… quelles choses ? Où sont les urgences, les essentiels ?… tous nos sens sont en berne… ou bien… au contraire… bien au contraire… avec ce satané « invisible », on se met aux aguets du moindre frémissement, d’un parfum, d’un passant, d’un voisin aperçu de loin, des rires d’enfants juste à côté, d’une trottinette qui va qui vient là juste devant. L’espace est rétréci et pourtant on l’agrandit, on s’adapte comme un petit poisson dans un aquarium. On dessine de nouveaux horizons. On s’applique à regarder le vent dans les arbres, à toucher une fleur sur le balcon, à renifler le barbecue du voisin, à écouter les applaudissements alentours à heure fixe et à goûter à la carotte qu’on vient d’éplucher pour réinventer la cuisine maison. Et puis voilà que ce que l’on fuyait… tout ce monde virtuel, ces écrans, cette intelligence artificielle qui écrabouille nos cœurs, nos désirs, et nous piste… voilà qu’on lui rend quelque grâce parce que l’on a pu voir le visage d’un parent isolé, parce que l’on a su partagé un fou rire avec une amie sur les ondes, parce que l’on a pu se délecter d’images magnifiques des uns et des autres… et moi, Michèle, j’ai un privilège supplémentaire à tout cela, je fais partie d’une troupe de théâtre comme on en fait peu… une, faite d’êtres humains rieurs, moqueurs, travailleurs, sensibles, inventeurs, créateurs et générateurs du plus beau cadeau qu’il soit : LE PARTAGE HORS EGO. Le mardi soir, on met nos frimousses dans des petits carrés, ça coupe, ça saute, ça répète, ça rate, ça recommence et il se passe ce que l’invisible ne peut atteindre. Nous, la troupe Ouïe Dire & Co, réinventons Molière, et nous délectons de cet éternel recommencement bien imparfait de ce qui fait l’humain mais tellement riche d’imprévus, de spontanéité et d’amour… celui pour l’autre, celui pour l’Art, celui pour tout ce qui fait vibrer… un truc incroyable qui nous rend UN formé de TOUS. Alors j’ignore ce que sera demain mais nous avons déjà gagné en ne lâchant rien, en rendant possible la passion, les rêves et en honorant la vie au milieu de toute cette impertinente impermanence. ICI & MAINTENANT ! MERCI à chacun.

17 avril 2020

De Isabelle Tresson
Comédien de la Troupe du Mercredi
Pièce travaillée : Les femmes savantes, de Molière
Personnage : Ariste

Tous les soirs à 20h00, nous applaudissons les soignants. Les mercredis soir aussi, c’est pourquoi la répétition en vidéo est décalée de quelques minutes. Au cours des semaines, on s’attache finalement à ces voisins qu’on ne connaît pas plus que cela. Comme si ces silhouettes croisées dans la course effrénée habituelle avaient pris vie. Le confinement permettra-t-il de créer du lien ? Serons-nous plus empathiques envers la vieille dame qui prend le soleil en bas de l’immeuble l’après-midi ou envers ce bébé qui pleure et dont les cris résonnent dans toute la cour ?

« L’empathie peut changer le monde ». Cette phrase gravée dans la station de tramway de la gare de Strasbourg est gravée en moi. Y-aura-t-il plus d’empathie à la suite à cette crise et ce confinement ? Les hommes seront-ils plus ouverts aux difficultés de santé, travail, logement que peuvent rencontrer les personnes de leur entourage ? Y-aura-t-il une plus grande écoute des autres ?

Je repense à mon personnage d’Ariste dans Les femmes savantes. C’est quelqu’un d’empathique, qui sait écouter les autres et les aide à sa façon. Quitte à devoir inventer un stratagème, dans l’optique d’aider, d’apporter une solution. Un entremetteur dans le bon sens du terme, quelqu’un qui met le bon sens entre les gens, qui permet aux jeunes amoureux de se marier et au vieux Chrysale d’être écouté. J’aime bien mon personnage. Il fait son possible pour que les gens s’écoutent et soient empathiques.

L’écoute des autres, la prise de parole à tour de rôle. Telles sont les règles de conduite nécessaires pour une réunion en visioconférence réussie. Et de même pour un apéro Skype ou pour une répétition de théâtre. Impossible de parler tous en même temps, par paires ou trio car on ne s’entendrait plus. A l’avenir, prendrons-nous l’habitude de plus nous écouter ? De parler quand vraiment nécessaire ? Une parole mûrie, réfléchie ? Moins de spontanéité ? ou celle-ci reviendra-t-elle dès la fin du confinement ? Les habitudes évolueront-elles ? Ferons-nous des répétitions en vidéo même après le confinement ? Aurons-nous pris l’habitude de s’écouter vraiment ? De vraiment écouter les répliques des autres et de ne pas seulement attendre notre tour de parler ? Mais le théâtre c’est bien plus que la parole, c’est le corps également et celui-ci nous manque cruellement dans nos répétitions. Au début toujours assis, nous nous levons désormais quand nous en ressentons le besoin. Nous nous éloignons de l’écran lors que le personnage fuit dans ses réponses, ou bien nous venons écraser notre visage dans le cadre pour faire voir un personnage en colère ou ébahi. Nous commençons à apprivoiser la bête, cet écran qui nous relie, renforce les liens et permet de continuer les répétitions. Bientôt nous arriverons même à faire en sorte que nos personnages se coupent la parole quand Molière le demande. Pour que la comédie puisse reprendre de plus belle dès le confinement terminé. 😊

17 avril 2020

De Vincent Reuss
Comédien de la Troupe du Lundi
Pièce travaillée : Building, de Leonore Confino

Il fut un temps pas si lointain où j’en étais à ressasser mon texte de part les rues de Paris pour trouver le ton juste, à soliloquer dans mon écharpe, à débiter du vers à la nuit tombée en rentrant chez moi, dans un flot ininterrompu, rallongeant le parcours pour les besoins du Verbe. Du Verbe qui devient mien à mesure qu’il se répète, à mesure qu’il voyage avec moi. Les liens de causalité ici se brouillent, est-ce moi qui le porte, qui l’entretiens, est-ce lui qui guide mes pas, qui mut par une volonté propre, celle de sortir de ma bouche pour vivre, précède mon mouvement et me tire vers l’avant ?

À chaque rue sa chanson, à chaque trou dans les pavés son vers, à chaque parcours sa préparation, la recherche dans mon répertoire de ce qui va m’accompagner. Si bien que le texte vivant devient une unité de mesure spatio-temporelle. Combien de Le Voyage pour aller jusqu’au parc ? Combien de Je voudrais pas crever pour aller acheter mon pain et mon fromage ?

S’il est une mémoire des lieux, je crois fort à la mémoire du rythme, du pas, du déroulement du paysage. L’immobilité n’a rien à dire. Le mouvement seul est expression.
Marcher, c’est ne pas penser avec sa tête. C’est s’oublier pour mieux vivre quelqu’un d’autre.
Le geste si naturel de la marche active en moi les mécanismes de la parole profonde. Si je m’arrête, je bute sur les mots, le flot se tarie jusqu’à ce que mon pas reprenne.

Il fut un temps donc, où j’en étais à dialoguer seul dans la rue, à m’emporter sur une réplique, mais toujours l’œil ouvert pour baisser d’un ton lorsque je croisais un autre individu de mon espèce civilisée, pour donner le change et jouer au garçon sain d’esprit. Parfois, cela ne fonctionnait pas, car il est des phrases qui ne peuvent être dites qu’avec le feu au ventre.

Ce temps est révolu, la marche n’est plus, qu’en crabe ou à tâtons pour aller acheter son pain et son fromage sans crever. Et m’en voilà contraint à dialoguer avec mes murs. Blancs. À déplier les lattes de mon parquet pour parcourir des kilomètres entiers dans mon studio. L’amplitude n’est plus la même, mais les envolées restent là, au détour d’une étagère, derrière cette porte, auprès de cette pile de livres, spectateurs inertes qui n’attendent qu’une chose, que je les ouvre et que ce soit d’eux que naisse l’émotion suivante.

Bref, il y a encore un peu de mouvement, de déplacement possible. Mais quand à l’heure dite il faut aller faire la même chose, enfoncé au fond de sa chaise, face à l’Œil qui fige toutes choses, l’amplitude déjà réduite est bien mince. Derrière il y a des yeux qui rient. Et des cœurs qui tapent. Mais devant il y a l’Œil qui fige toutes choses. L’Œil qui me voit, et que je vois en train de me voir. Il y a mes pas qui ne sont plus là, et du fond de ma chaise je me remets à penser avec ma tête.

Le texte se perd, le jeu se crispe un peu sans pour autant se ramollir. C’est là mon autre constatation. Parqués dans un bâtiment de plus d’un siècle d’âge, époque où l’insonorisation restait encore à théoriser, nous sommes tous devenus des concierges en herbe, à épier les faits et gestes de nos voisins dans ce monde au dehors silencieux.

Ayant moi-même appris tout ce qu’il est possible d’apprendre sur la vie sexuelle de ma voisine du dessus en quelques semaines, je n’ai pas de doute que ces derniers jours ces messieurs-dames qui m’entourent ont définitivement pu se faire un avis sur la salubrité intellectuelle de ce type qui habite mon studio.

17 avril 2020

De Joëlle Mezza
Comédienne de la Troupe Ouïe-Dire And Co
Pièce travaillée : Le misanthrope, de Molière
Personnages : Philinte et Arsinoé

L’énergie est peut-être un peu moins au rendez-vous ce soir. On vient d’apprendre qu’on en reprend pour un mois… Certain-e-s marquent le pas avec pudeur. D’autres affichent le “beau fixe”. De toute façon, on ne le saura jamais vraiment.

Évidemment, la séance de théâtre fait toujours effraction dans le quotidien de tout d’un chacun. Chacun-e arrive avec son paquet plus ou moins lourd de la journée et le laisse précautionneusement à la porte. Il-elle vient même là pour pouvoir le laisser à la porte. Il-elle le retrouvera à la sortie, avec la sensation que quelque chose s’est allégé.

Mais en ce moment comment ne pas évoquer notre lot commun ? Isolement majeur pour certain-e-s, côtoyer la maladie pour d’autres, jongleries épuisantes pour soutenir 3 vies en parallèle pour d’autres encore (le travail, les enfants, la vie de famille), l’inquiétude du lendemain, le devenir de la petite entreprise…

On en reprend pour un mois, alors il faut imaginer des façons de se réinventer. Ce soir, on expérimente la parole sans l’image. Du vrai théâtre radiophonique. La lecture au cœur de la nuit, au cœur des alcôves, quand tout dort ou presque.

Quand j’étais enfant et qu’il m’arrivait d’écouter des pièces de théâtre à la radio, j’imaginais toujours un comédien seul dans une pièce noire.

Tout est dans l’écoute, les respirations, les silences.

Lecture parfois atone, poussive, plate, trop scolaire

Ode à la metteure en scène, qui, telle une cheffe de meute, entraîne sa troupe un peu essoufflée :

Vas-y ! Mords les mots! Allez, go! Schla!

Exhortation. Énergie décuplée. C’est sans doute la même que d’habitude, mais elle est plus prégnante à mon oreille, face à la fixité des images et des corps.

Il nous faut un moment pour renouer avec une lecture vivante, investie.

Peu à peu, le miracle du théâtre opère. Les mots décollent, jouent dans l’oreille. Les corps s’animent par-delà les sons. Je perçois les intentions.

Bonne nuit! A la semaine prochaine.

 

17 avril 2020

De Alain Toussaint
Comédien de la Troupe du Mercredi
Pièce travaillée : Les femmes savantes, de Molière
Personnage : Chrysale

Désormais, notre moment d’évasion est cet instant « Théâtre » cette séquence hebdomadaire vidéo-téléphonée, où nous nous retrouvons pour faire « atelier »… contre vents et marées !

Quelle excitation, quelle joie, aussi contenues soient-elles, que de poursuivre notre chemin vers les représentations annoncées.
L’agilité intellectuelle, l’enthousiasme inébranlable de notre metteure en scène, Véronique, a su convaincre chacune, chacun d’entre nous, d’un possible… devenu une urgence, une mission : garder le cap ! maintenir le travail fait, l’enrichir, presque le transcender pour détacher nos corps et esprits des conditions habituelles, aussi bonnes, aussi pratiques et « normales » soient-elles.

Ne plus se « rencontrer » !! pour des comédien-ne-s d’un atelier amateur, c’était inimaginable avant cette attaque virale.
Jouer des corps, éclairer sa (son) partenaire, pratiquer le fameux CNV (comportement non verbal), toutes ces facettes de l’apprentissage sont pulvérisées par le confinement.
Mais l’écoute attentive, active, indispensable pour surmonter les imperfections de nos contacts intermédiés, rapproche nos bienveillances comme nous ne l’aurions pu l’imaginer !
Et, ça marche !! c’est beau et constructif.

Bien sûr nous ne pourrons jouer devant le public qu’une fois le « corps » du spectacle reconstitué sur scène, mais alors, quelle jubilation d’avoir pu construire… contre vents et marées !
Et c’est notre public, celui qui nous attend, qui nous donne la force de monter notre pièce.

Merci à tous de continuer, et du chemin trouvé.